VirtuOz, spécialiste français des agents virtuels, a des clients comme eBay, Voyages-SNCF, SFR, Ameli ou la Fnac. En 2008, une seconde levée de fonds lui a permis de s'implanter dans la Silicon Valley, faisant passer l'entreprise sous statut américain. Nous avons rencontré Alexandre Lebrun, PDG de VirtuOz, à quelques miles de San Francisco. Il nous explique les choix et les défis de l'implantation.
Alexandre Lebrun, bonjour. VirtuOz est un spécialiste des agents virtuels… Pourquoi être venu dans la Silicon Valley ?
Quand nous avons lancé notre produit, nous travaillions déjà avec eBay au niveau de la France. L'entreprise était intéressée par notre solution d'agents virtuels pour les Etats-Unis, ce qui nous a permis d'envisager une implantation rapide. Nous sommes venus très vite grâce à une levée de fonds de 11,4 millions de dollars, auprès d'un investisseur de la Silicon Valley. Et nous sommes contents d'avoir été un peu tirés par eBay à l'époque. Nous aurions pu nous contenter du marché français, de grossir à cette échelle. Le choix n'est pas facile, notamment quand on a une famille, etc.
Mais partir tôt, comme nous l'avons fait, est un excellent choix à mon avis. Le produit est encore flexible du côté software, et on a une attente supérieure en terme de qualité. Le problème, c'est comment partir sans argent. La levée de fonds – et la demande d'eBay qui nous assurait un gros client dès notre implantation – nous a beaucoup aidés à ce niveau. Je pense que c'est un bon schéma, avec le recul : démarrer en France, parvenir à la profitabilité du produit, lever des fonds aux Etats-Unis avec un fort soutien logistique de l'investisseur.
C'est un succès enviable, mais est-ce vraiment aussi simple ?
Non, bien sûr que non. D'abord parce qu'il faut prendre en considération la vie personnelle de chacun. Ce n'est pas toujours évident de déménager à l'autre bout du monde lorsqu'on a une famille par exemple. Et même sur place, il y a beaucoup d'obstacles ou de pièges. Il vaut mieux être parano parfois, car on peut voir arriver assez rapidement des mercenaires, qui viennent réclamer un salaire énorme pour faire du consulting ou comme employés. Ils vont être payés 300 000 dollars par an, faire semblant de travailler pendant un an, et développer leur propre projet à côté. Au final, j'ai vu des entrepreneurs français perdre un an de développement et des sommes d'argent importantes à cause de ça.
Une autre tendance assez importante : les Français qui arrivent vont naturellement se tourner vers des Français déjà établis. Certains entrepreneurs ici sont très bons comme consultants, mais pas tous. Ce n'est pas toujours une bonne idée, parce que, si c'est confortable d'avoir des interlocuteurs de la même langue, ça n'aide pas à s'ouvrir à des investisseurs ou des entrepreneurs américains. Et c'est l'une des clés. Attention, il ne faut pas renier toutes les initiatives sérieuses, comme ce que font Ubifrance ou le French Tech Tour. Cependant, on reste là dans une phase de découverte. C'est très intéressant, car l'entrepreneur désirant s'implanter va avoir un maximum de rendez-vous en quelques jours, avec un temps de préparation réduit en amont. Mais ce n'est pas ça qui créera le business.
Une erreur classique des entreprises françaises intéressées par le marché américain, c'est de faire des économies en envoyant une personne en éclaireur, seule , pour essayer de signer deux ou trois contrats. Je n'ai jamais vu cela marcher nulle part.
Après, il y a d'autres soucis, qui semblent des détails… Par exemple, certains arrivent aux rendez-vous avec 20 minutes de retard. Ca semble dérisoire, mais c'est éliminatoire ici. Il faut savoir qu'un rendez-vous avec des entrepreneurs ou des investisseurs américains ne commencera jamais deux minutes plus tard. Quand on a une conférence téléphonique au sein de VirtuOz à 8h, tout le monde est en ligne à 7h59, c'est assez impressionnant. Et si quelqu'un est bloqué au téléphone avec un client par exemple, il va envoyer un mail à tout le monde 5 minutes avant.
Quelles sont les bonnes pratiques pour avoir des opportunités intéressantes ?
Il y a deux cadres différents pour une implantation : soit on vient avec un fonds d'investissement local, soit on arrive sans soutien. Nous, par exemple, du jour où nous avons signé pour le financement, nous avons été très épaulé. Financièrement, mais surtout en terme de crédibilité. On vient d'un pays lointain, avec juste nos valises, un accent horrible, et sans avoir fait Stanford… Il faut équilibrer ces désavantages absolument. Avoir un financement d'un fonds qui fait partie du top 20 apporte cette crédibilité. Ca joue beaucoup sur le recrutement.
C'est un point très important : le recrutement. L'avantage de la Silicon Valley, c'est qu'on va avoir accès à des gens qui ont été cadres dans de très grosses entreprises, comme SAP, Microsoft, Google, etc, et également dans des startups. Ils vont donc apporter une expérience énorme, beaucoup de crédibilité. Mais ces gens-là, qui ont un réel esprit de startup, et un enthousiasme authentique, sont demandés de partout. Si on ne veut pas tomber sur les mercenaires dont nous parlions, il faut un réseau et une crédibilité importante. La bonne idée ne suffit pas. On peut, et on doit, recruter à la fois des jeunes et des stars. C'est un vivier de cadres expérimentés que l'on ne trouve pas en France.
Il serait impossible de réussir dans les mêmes conditions en France ?
Il est beaucoup plus facile de lancer un business en France, grâce aux aides gouvernementales. Entre Oséo, les lois Tepa sur la réduction d'ISF, etc, c'est un super climat. Mais quand il s'agit de faire grossir son entreprise, les difficultés arrivent. Tous les avantages des débuts disparaissent, et comme je vous le disais, il est difficile de recruter tous ces grands cadres venus de Google, d'Oracle ou de SAP. La France est un peu trop cloisonnée pour ça. Or nous avons besoin d'eux pour grandir. C'est la principale différence que je vois entre les deux situations.
Mais ce qui est fait avec les pôles de compétitivité, c'est une bonne chose. Il faut un bouillonnement, des gens qui se trouvent. Ce qui m'inquiète un peu, c'est que c'est quelque chose qui ne se décrète pas. La Silicon Valley est le fruit de plusieurs choses : des gens qui ont fait fortune grâce aux stocks-options – et allez proposer des stocks-options à de grands cadres français… Des gens qui sortent de Stanford, des gens qui ont travaillé pour des entreprises comme HP, des business angels ou des capitaux-risqueurs… Il est possible de créer tout cela en France, mais comment les faire se rencontrer ? Allez dans un café de Palo Alto, on les trouvera tous. Est-ce qu'ils auront envie de traîner dans un café à Saclay ?
Il faut, en clair, de bonnes universités, un endroit assez éloigné de la ville pour ne pas que les gens s'en aillent, et des entrepreneurs qui ont fait fortune. Le rêve américain est un vrai moteur de l'enthousiasme. Pourquoi croyez-vous qu'on peut faire travailler neuf personnes comme des esclaves, sans sécurité sociale ? Parce qu'une personne a réussi en partant de rien. L'exemple est un moteur fort, qu'il ne faut pas négliger. Mais peut-on décréter qu'une personne sur dix travaillant à Saclay aura fait fortune ?
Alexandre Lebrun, je vous remercie.